Aux Philippines, on répond par la répression au COVID-19

Philippine jail

Le Covid-19 fait des ravages dans le monde entier et les populations doivent vivre sous des mesures de distanciation sociale. C’est le cas aussi aux Philippines. Pas de « jeepneys » en rue (c’est le transport public traditionnel), pas de cérémonies de mariage ni de cultes religieux, pas de travail pour les travailleurs agricoles. Le couvre-feu et une interdiction stricte de sortie sont décrétés. Pour une grande partie de la population philippine, tout cela se résume de la façon suivante : pas de travail = pas de revenu = pas de nourriture. La plupart des gens ne reçoivent pas ou très peu d’aide gouvernementale, même si celle-ci a été promise.

En plus de ces mesures strictes, le parlement a donné au président Duterte des pouvoirs spéciaux dans la lutte contre la crise du COVID-19. Un budget de 27,1 milliards de pesos y a été alloué (environ 5,05 milliards d’euros). Mais l’équipe économique de Duterte a annoncé que seuls 10% de ce montant seraient attribués à la lutte contre le virus, tandis que 50% iraient à différents programmes et projets pour booster le tourisme.

Une politique répressive au lieu d’un soutien à la population

Depuis l’introduction du couvre-feu et des pouvoirs spéciaux, le nombre d’amendes et d’arrestations a augmenté à travers tout le pays.

Ainsi, Dorothy Espejo, une femme sans-abri de 69 ans qui vit dans les rues à Manille, a été réveillée et arrêtée. Le couvre-feu (qui va de 20h le soir à 5h du matin) venait d’être introduit le 16 mars. Cette femme risque une amende jusqu’à 100.000 pesos et une peine d’emprisonnement jusqu’à 6 mois.

Toujours à Manille, la police est occupée à détruire illégalement des baraquements sous prétexte d’empêcher la propagation du virus. Les gens qui y vivaient sont contraints de partir, et ce sans la moindre aide financière ni proposition d’un logement alternatif.

Encore un exemple : deux frères qui travaillent tous deux dans des institutions médicales, se déplaçaient ensemble sur une mobylette, ce qui est interdit par les nouvelles mesures. « Backride » est contraire à la politique de « social distancing ». Ils ont reçu une amende de 5.000 pesos, soit la moitié de leur salaire mensuel. Comme les transports en commun ne fonctionnent plus, ils n’avaient pourtant pas d’autre choix.

Des arrestations sont faites pas seulement en cas de non-respect du couvre-feu ou d’autres mesures. Mais aussi sur base d’accusations d’incitation à la rébellion et à la désobéissance. Juliet Espinosa, une enseignante de General Santos City à Mindanao, a été arrêtée suite à un post considéré comme provocateur qu’elle a publié sur Facebook. Elle y invitait les personnes qui n’ont pas de quoi manger à se rendre à la salle de sports Lagao Gym, où il y a une réserve alimentaire. Son fils a été arrêté avec elle parce qu’il se serait opposé à l’arrestation de sa mère, et il est donc accusé de désobéir à la loi.

“La population a pleinement le droit de critiquer l’incompétence du gouvernement et à exiger des services. Julie, l’enseignante, n’est pas la seule à le penser : les pauvres, les vendeurs de rue, les conducteurs de tricycle et de jeepney, les sans-abri, les travailleurs et les paysans grognent contre l’absence d’empathie de ce régime face aux souffrances du peuple ; alors qu’il démontre son total manque de compassion fascisant face à tout ceux qui osent s’exprimer contre sa politique stupide. Le régime devient paranoïaque face à une opposition qu’il a lui-même provoquée. », déclare Cristina Palabay, de l’organisation des droits humains Karapatan.

Les travailleurs des plantations sucrières de Negros ne peuvent travailler pour le moment en raison des mesures de quarantaine. Les communes ont distribué 2 kg de riz et de nouilles par famille à titre d’aide et ont vaguement promis d’en distribuer davantage dans les prochains jours. Mais sans travail, il est impossible de nourrir les familles des paysans pendant toute la durée de la quarantaine.

Le 1er avril, après 7 jours de pouvoirs spéciaux, Duterte a chargé la police et l’armée d’abattre ceux qui ne respectent pas la quarantaine. La section philippine d’Amnesty International a immédiatement répondu qu’on ne peut utiliser cette menace comme méthode de combat contre le virus. Selon Karapatan, une telle forme brutale de violation des droits humains ne ferait qu’aggraver la situation.

Depuis la mi-mars, les autorités ont déjà arrêté 20.389 personnes à travers tout le pays, et ce uniquement pour non-respect du couvre-feu. Le pourcentage de surpopulation dans les prisons était déjà de 391% avant l’introduction des pouvoirs spéciaux. Dans ces circonstances, il est impossible de respecter la distanciation sociale, ce qui pourrait causer une propagation massive du COVID-19.

Karapatan et d’autres organisations exigent la libération immédiate des personnes arrêtées ainsi que des prisonniers politiques.

D’autres organisations, comme Kadamay (une organisation des populations urbaines pauvres) ou la coupole de syndicats KMU (Kilusang Mayo Uno) répondent aux besoins de la population et luttent contre le COVID-19. Elles exigent un approvisionnement en nourriture, des contrôles médicaux, des tests corona gratuits et rassemblent des dons de nourriture et de matériel médical. Les pouvoirs spéciaux de Duterte doivent servir à soutenir ceux qui sont en première ligne contre le COVID-19 ainsi que les personnes privées de revenus, et non à les pénaliser.

Elmer “Ka Bong” Labog, président du KMU), déclare : “Ne menacez pas ceux qui ont faim avec des forces policières brutales. Ces menaces ne vont pas remplir les ventres vides. Le président doit donner de la nourriture et du travail à la population, au lieu de leur tirer dessus. »

Traduction par Claire O.

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