100 ans de colonisation de la Palestine, dans l’ombre de Balfour

Interview avec David Cronin

Le 2 novembre 1917, Arthur Balfour, ministre britannique des Affaires étrangères, adressait une lettre à la Fédération sioniste dans laquelle il accordait le soutien de son gouvernement à la création d’un foyer national juif en Palestine. Cette lettre est à l’origine de la colonisation de la Palestine, qui se poursuit aujourd’hui.

Balfour declaration (Wikimedia)

Qui était Lord Balfour et pourquoi cette déclaration ?

Lord Balfour était à l’époque le ministre britannique des Affaires étrangères. Nous étions en plein dans la période de la Première Guerre mondiale. L’Empire ottoman, dont la Palestine faisait partie, se désagrégeait. En mai 1916, Sykes et Picot avaient partagé les parties arabes de l’Empire ottoman entre la France et l’Empire britannique en compagnie du tsar de Russie. Les frontières qu’ils avaient dessinées à l’époque définissent toujours aujourd’hui la carte du Moyen-Orient. La France avait reçu une partie de la Syrie, l’Anatolie et le Nord de l’Irak. L’Angleterre empochait la plus grosse part de l’Irak, la Jordanie et le désert du Néguev, en Palestine. La Russie, de son, côté, se voyait attribuer une autre partie de l’Anatolie, Istanbul et l’Arménie et revendiquait en outre les villes de Nazareth, Jérusalem, Naplouse et Hébron. Ceci n’était pas du goût de l’Angleterre. La Palestine allait devenir une zone internationale, sous influence russe. Mais, en 1917, la révolution d’Octobre éclatait en Russie et les bolcheviks ne voulaient pas de colonie. Les Britanniques y virent leur chance.

Pourquoi la Palestine était-elle si importante pour les Britanniques ?

Les Britanniques voulaient tenir coûte que coûte les Français en dehors de la Palestine. Le Premier ministre britannique l’affirmait littéralement. La Palestine n’avait pas nécessairement de nombreuses richesses naturelles, mais elle était proche du canal de Suez, un élément très important sur la voie commerciale vers les colonies britanniques en Inde, et situé à proximité des gisements de pétrole de la Perse. En outre, les sionistes, avec qui le gouvernement britannique entretenait des liens solides, étaient prêts à diriger la région. Le Royaume-Uni voulait également éviter le flux migratoire des Juifs est-européens vers son propre territoire.

La déclaration de Balfour était adressée à Chaim Weizmann, à l’époque président de la Fédération sioniste. Weizmann était un professeur de chimie russe. Auprès du ministère britannique de la Guerre, il avait entre autres collaboré au développement de l’utilisation de l’acétone dans la fabrication d’explosifs. Plus tard, en 1949, Weizmann allait devenir le premier président d’Israël.

Quel fut l’impact de la déclaration ?

À partir de cette période, la Grande-Bretagne assuma de facto le pouvoir sur la Palestine et elle joua un rôle clé dans la facilitation du projet sioniste, et ce, jusqu’à la création de l’État d’Israël en 1948. Le but des sionistes était d’instaurer un État sioniste en Palestine en colonisant le pays à l’aide de travailleurs et de paysans juifs. Ils comptaient le faire en étendant tout un réseau de colonies à travers le pays sur le pays, le développer systématiquement pour compléter l’ensemble ensuite, une technique qui avait également été appliquée en Afrique du Sud et qui l’est toujours aujourd’hui en Israël, où les colonies, à l’encontre de toutes les règles du droit international, continuent à s’étendre en toute illégalité. Le gouvernement britannique intervint afin que les sionistes puissent bâtir leurs colonies.

En 1948, lors de la création d’Israël, 750 000 Palestiniens furent chassés de leurs terres par la violence et durent s’enfuir. En 1967, Israël occupa le reste des territoires palestiniens. Du territoire palestinien d’origine, il ne reste aujourd’hui que 12 %. Avec un réseau de colonies, de routes réservées aux colons, de check-points, un mur qui s’enfonce profondément dans les territoires occupés en les morcelant, le blocus de la bande de Gaza… c’est quotidiennement qu’Israël viole les droits fondamentaux des Palestiniens.

Kaart Palestina

N’y eut-il donc pas de résistance de la part de la population palestinienne ?

Bien sûr que si. Il y a eu des émeutes dans les années 20 et 30, et une véritable révolte éclata en 1936, qui fut tout de suite écrasée par les Britanniques. Des troupes de policiers britanniques, entre autres, furent envoyées en Palestine pour mater cette révolte. L’ordre en fut donné par Winston Churchill, qui était responsable pour la Palestine en tant que ministre des Colonies. Les mêmes troupes de policiers avaient déjà sévi dans une autre colonie britannique : l’Irlande.

C’est précisément cet événement qui suscita mon intérêt pour le sujet de la déclaration Balfour. J’ai grandi dans un quartier de Dublin (Irlande) qui fut incendié par les Britanniques en 1920, et un des membres de ma famille fut alors abattu par un soldat britannique. C’est un sujet de conversation jusqu’à présent. Et voilà que certains manuels de l’armée israélienne se réfèrent précisément à ces techniques de l’armée britannique. L’écrasement des révoltes en Irlande et en Palestine leur servit comme bon apprentissage. Mais les Britanniques recrutèrent également bien des membres de la Haganah, une organisation paramilitaire juive active dans la lutte contre les Palestiniens. Je suis donc d’avis que le Royaume-Uni est directement complice de la Naqba.

Quelle était la relation entre le Royaume-Uni et Israël pendant et après la Deuxième Guerre Mondiale ?

Dans les années 40, des désaccords surgirent entre le Royaume-Uni et le mouvement sioniste, et en Palestine cela déboucha même en une guerre de guérilla contre les autorités coloniales britanniques. Churchill, qui était devenu premier ministre entre temps, fit un appel à l’ordre et au respect de la déclaration Balfour. Les relations finirent par se rétablir. Après la Deuxième Guerre Mondiale, l’ État indépendant d’Israël fut utilisé comme instrument de défense des intérêts britanniques et occidentaux, et exécuta même leurs sales boulots : en 1956, Israel attaqua l’Égypte de Nasser, sous la pression du Royaume-Uni et de la France. Et en 1967, le Royaume-Uni livra à Israël des centaines de tanks qui furent utilisés pour l’occupation qui dure à présent depuis 50 ans et qui s’approfondit encore.

Et comment est aujourd’hui cette relation entre le Royaume-Uni et Israël ?

Elle est alarmante. Le premier ministre britannique Theresa May a pour l’instant des relations problématiques avec l’UE à cause du brexit. Apparemment elle cherche d’autres amis de par le monde, et Israël en est un. Un accord commercial avec Israël lui tient fort à coeur, à cause de l’industrie militaire présente dans les deux pays, entre autres.

Le Royaume-Uni a joué un rôle très important dans la colonisation de la Palestine et, jusqu’à ce jour, il entretient d’excellents liens avec Israël. L’industrie militaire en est certainement une des raisons. Le plus grand programme de drones de l’armée britannique, les Watchkeepers, est réalisé en collaboration avec l’entreprise israélienne Elbit. Elbit Systems, l’une des plus grosses entreprises de défense du monde, considère le Royaume-Uni comme un « marché intérieur ». Elle y a cinq usines, de même qu’elle en a une à Audenarde, en Belgique. Si le Royaume-Uni s’en va en guerre, ce sera donc avec des armes et des technologies israéliennes qui auront été préalablement testées sur les Palestiniens.

Ainsi, le lien entre le Royaume-Uni et Israël est peut-être plus fort encore que ce qu’il fut rêvé il y a 100 ans. Lord Balfour n’eût pas osé s’imaginer que l’État qu’il a contribué à créer deviendrait un fournisseur de choix de l’armée britannique.

100 ans jour pour jour après la déclaration Balfour, il semblerait que nos gouvernements – belge ou européens – ne fassent que maintenir un statu quo en Palestine. Qu’en pensez-vous?

C’est tout à fait vrai. Selon moi, le Royaume-Uni est directement impliqué dans la colonisation de la Palestine et maintient un statu quo, comme je l’explique ci-dessus. Cela dit, c’est aussi le cas pour d’autres pays d’Europe et du monde. Israël est traité comme n’importe quel autre État alors qu’il occupe illégalement un territoire et opprime un peuple en entretenant un régime d’apartheid. C’est inimaginable, mais pourtant c’est la réalité.

J’ai appris qu’il y a eu des missions économiques faites par plusieurs Régions belges (cfr : Région Wallone, Région Flamande et Région Bruxelles-capitale) pour établir des liens économiques et attirer des investissements belges en Israël. En effet, Israël a développé une expertise certaine dans le domaine de la «numérisation» et de la technologie dite  «propre». Il n’y a pourtant rien de propre dans une technologie qui s’est largement développée grâce à l’industrie militaire. Une industrie qui est responsable de la répression de l’ensemble du peuple palestinien. Et de cela, la Belgique, le Royaume Uni et l’Europe se rendent complice.

Le SPF Justice belge et la KU Leuven collaborent avec la police israélienne dans le projet LAW-TRAIN sur les techniques d’interrogatoire et dans lequel l’ « expertise » d’Israël en la matière est utilisée. Les Nations Unies ont encore condamné Israël pour des pratiques de torture en mai 2016. Plus de 300 enfants palestiniens sont enfermés dans les prisons israéliennes. Israël mène des arrestations et des actes de torture dans le cadre de son occupation illégale des territoires palestiniens. En plus, le quartier général de la police israélienne est situé à Jérusalem-Est et les  institutions européennes ne peuvent collaborer avec des entités israéliennes qui se situent de l’autre côté de la Ligne verte. Cette collaboration est une honte!

Y a-t-il une issue à cette situation ? Que pouvons-nous faire ?

Je ne suis qu’un journaliste. Lors de mes activités j’essaie de stimuler tout le monde à s’engager, par exemple dans une campagne telle que BDS (Boycott, Désinvestissement, Sanctions), fort simple d’après moi. Si nous sommes vraiment des activistes pour les droits de l’homme, il nous faut écouter ce que demandent les gens dans la région touchée. En 2005, plusieurs organisations sociales palestiniennes formulèrent sans aucun équivoque un appel pour le BDS. Les objectifs ne sont pas extravagants, et méritent à mon avis le soutien de toute personne raisonnable : la fin de la colonisation, l’égalité entre Palestiniens et Israéliens, et le respect du droit de retour des réfugiés palestiniens. Pourquoi attendre encore, au fond ?

« Balfour’s Shadow », le livre de David Cronin est en vente chez intal. David Cronin tiendra également une conférence sur son livre au brunch de solidarité d’intal Bruxelles-Palestine, le 25 novembre.

David Cronin est journalist et auteur du livre « Balfour’s Shadow » et « Alliance with Israel: aiding the occupation ».

Traduit par:

Yvan G.

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