Décolonisation de l’espace public

Lundi 25 mai, George Floyd, homme Noir de 46 ans et père de deux filles, a été assassiné par un policier Blanc, avec l’aide de trois autres agents. Sa longue agonie a été filmée en direct par des passants, provoquant l’écœurement et la colère dans tout le pays et à travers le monde.
Le meurtre de George Floyd aux États-Unis – l’une des nombreuses victimes Noires des meurtres racistes, des brutalités policières et du racisme structurel – a déclenché un énorme mouvement, y compris chez nous.

A Bruxelles, le 7 juin 2020 restera gravé dans l’histoire de la lutte décoloniale et antiraciste en Belgique. Plus de 15 000 personnes , essentiellement des jeunes, qui étaient autrefois très éloignés de l’activisme organisé se sont sentis impliqués.

Mais ce qui est frappant, c’est qu’un lien a été fait très vite avec notre passé colonial raciste et violent au Congo. Le 1 juin , un jeune bruxellois de 14 ans a lancé une pétition qui exige «d’enlever toute statue en hommage à Léopold II. En commençant par celle sur la place Trône. ». Celle-ci a déjà récolté aujourd’hui plus de 70 000 signatures. Avec cette pétition les signataires demandent à la Ville de Bruxelles d’enlever les statues au plus tard le 30 juin – date importante car c’est le jour anniversaire des 60 ans de l’indépendance de la RDC.

Ce n’est pas un sujet du passé que nous devons commémorer de temps en temps. Il est le pivot du débat actuel sur la décolonisation en Belgique et est lié à la manière avec laquelle notre establishment a structurellement façonné le racisme en Belgique.

Racisme et colonialisme : les deux faces d’une même pièce

Les milliers de personnes rassemblés à Bruxelles, à Anvers, à Gand et à Liège au cri de “Black Lives Matter” réclamaient également que notre espace public – à travers ses rues et ses places – raconte enfin la société que nous voulons. Une société égalitaire et solidaire qui rend hommage à des combattants de la liberté et de l’égalité comme Patrice Lumumba. Et non une société capitaliste, raciste et nostalgique du passé colonial, qui rend hommage à des criminels comme Léopold II – responsable notamment de la mort de 5 à 10 millions de Congolais, entre 1875 et 1908.

La jeune génération refuse de continuer à vivre dans une société qui rend encore hommage aux dignitaires du régime criminel de la colonisation belge au Congo. Le plus célèbre de ces dirigeants coloniaux étant Leopold II dont des statues continuent d’occuper plusieurs places de nos villes, au sein de nos universités et dans l’enceinte de nos institutions publiques.

Nous ne pouvons comprendre ni combattre le racisme systémique en Belgique sans décoloniser nos imaginaires et notre culture qui sont en grande partie le fruit du régime raciste qu’était le régime colonial belge. Celui-ci a infusé la société pendant 80 ans de sa propagande coloniale et de sa culture raciste – y compris dans les représentations.

Dans ce processus de décolonisation, décoloniser notre espace public est un passage obligé.

Si nous voulons la fin du racisme systémique en Belgique, il faut aussi que nos espaces publics et nos livres d’histoire racontent ce profond désir de changement qui bouillonne dans la société. Nos livres d’histoire et nos musées doivent raconter la vérité des crimes coloniaux et ne doivent plus laisser place ni au silence ni à la propagande coloniale. Nos espaces publics doivent refléter une culture résolument égalitaire, antiraciste et rendant hommage à la diversité des mémoires et des parcours migratoires qui constituent la société belge.

La question des statues de Léopold II est actuellement au centre du débat. Celles-ci faisaient partie d’une large machine de propagande coloniale qui avait pour fonction de légitimer l’exploitation et le pillage du Congo en présentant ces crimes comme faisant partie d’une «mission civilisatrice». Cette propagande coloniale continuera à produire ses effets de perpétuation d’une culture raciste tant que ces statues seront dans l’espace public : car il ne s’agit pas de simple trace de notre passé mais bien d’hommage que la société rend à un projet colonial et raciste.

En tant qu’organisation anti-impérialiste et décoloniale, nous soutenons et prenons part à cette lutte. Nous demandons notamment :

– Le déboulonnement de toutes les statues de Léopold II et des autres dignitaires du régime colonial Belge, à travers le pays.

– En s’engageant dans les pas des dynamiques positives en cours au niveau régional, nous demandons à la commune de Bruxelles de démonter la statue de Leopold II se trouvant Place du Trône. A l’image du récent déboulonnage de la statue du général Emile Storms, mercenaire et criminel de guerre au service de Léopold II lors des conquêtes coloniales du Congo ; et aussi de 3 autres statues de Léopold II déboulonnées il y a quelques jours dans la commune d’Ekeren (Anvers), à l’Université de Mons et à l’Université de Leuven.

– L’installation de toutes ces statues dans des espaces éducatifs tels que des musées afin tous les Belges puissent venir y apprendre le passé colonial de la Belgique. Le but étant de donner accès au public au meilleur des débats historiques en cours sur le passé colonial de la Belgique ainsi que le point de vue des victimes de ce régime criminel – que ce soit les Congolais ou les Belges d’origine Congolaise.

-De faire appel à des artistes qui proposeront à la place de ces statues coloniales des œuvres qui racontent la société que nous voulons: une société anticolonial, antiraciste, multiculturelle et solidaire.

Dans l’histoire de la lutte antiraciste et décoloniale en Belgique cette mobilisation #BlackLivesMatter va compter. Espérons et faisons que ce soit le début d’un large et puissant mouvement antiraciste et décolonial dans notre pays.

Photo : Flickr, Antonio Ponte (CC)

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