Les enjeux de la crise Vénézuelienne

Le Venezuela est quotidiennement à la Une des médias. « Il faut une intervention humanitaire pour sauver les Vénézuéliens » : tel est en gros le message répété par les États-Unis du président Trump et ses alliés. Mais qu’en est-il exactement ? Nous avons interrogé Isabelle Vanbrabant, politicologue, activiste pour la paix et la solidarité internationale, et présidente de cubanismo.be.

Isabelle Vanbrabant. L’embrasement des tensions au sein et autour du Venezuela est un énième exemple de la volonté des États-Unis de forcer un « regime change » (changement de régime, NdlR) dans le pays. Ce n’est pas la première fois. À la fin des années 1990, quand, sous le président Hugo Chávez, le Venezuela a commencé à suivre sa propre voie, les États-Unis ont focalisé leur viseur sur ce pays latino-américain. Donald Trump et les tenants de la ligne dure de son cabinet de guerre veulent désormais frapper un grand coup et affirment que « toutes les options sont ouvertes », y compris donc celle d’une intervention militaire. Celle-ci servirait à mettre au pouvoir Juan Guaido, président intérimaire auto-proclamé, et à éjecter ainsi le président en place Nicolás Maduro.

Les États-Unis, les gouvernements de droite (extrême) de Colombie et du Brésil et Guaidó et ses partisans avaient misé sur une grande action le 23 février. Ils comptaient forcer le passage des convois d’« aide humanitaire » nord-américains sur le territoire vénézuélien via les frontières avec la Colombie et le Brésil. Cela ne serait pas la première fois que des raisons humanitaires sont invoquées pour intervenir militairement. Le président de la section colombienne du Comité international de la Croix-Rouge, Christoph Harnisch, a déclaré que son organisation ne voulait pas participer à cette opération parce qu’elle ne définissait pas celle-ci comme de l’aide humanitaire mais comme une arme politique.

Pourquoi les États-Unis s’intéressent-ils autant au Venezuela?

Isabelle Vanbrabant. Dans ses discours et dans ses tweets, Trump parle en permanence de « la souffrance du peuple vénézuélien » et d’un « régime dictatorial » dont il veut les débarrasser. Mais qui croit vraiment à la volonté démocratique de Trump ? Dans la réalité, ce sont bien sûr les seuls intérêts des États-Unis qui priment. Cela s’appelle de la « realpolitik ». Une politique qui passe des accords à plusieurs milliards avec des dictatures comme celles en Égypte et en Arabie saoudite. Les Saoudiens figurent parmi les plus importants clients de l’industrie de l’armement américaine (et européenne), dont les bombes et d’autres engins de guerre font des milliers de victimes au Yémen.

Alfred de Zayas, l’ancien rapporteur spécial pour le Conseil des droits de l’Homme des Nations unies, a également ôté le voile de cette rhétorique humanitaire. Il a déclaré que « ce qui est en jeu, ce sont les énormes, énormes richesses naturelles du Venezuela », ajoutant : « J’ai le sentiment que si le Venezuela ne possédait pas de richesses naturelles, on n’accorderait aucune importance à qui dirige ce pays, qu’il s’appelle Chávez, Maduro ou autre. »

Dans son récent livre, Andrew McCabe, jusqu’il y a peu sous-directeur du FBI, cite Trump : « Le Venezuela est le pays où nous devons mener une guerre : il possède tout ce pétrole et le pays est tout proche. » Le Venezuela possède en effet les plus grandes réserves de pétrole brut au monde. Les revenus annuels du pétrole, compte tenu de la variation du prix du pétrole, s’élèvent potentiellement à au moins 50 à 100 milliards de dollars. C’est ce gâteau que visent les géants de l’énergie des États-Unis. Et John Bolton, le conseiller à la sécurité nationale de l’administration Trump, entend bien les servir au doigt et à l’œil. « Pour les États-Unis, cela fera une grande différence au plan économique si nous pouvons faire en sorte que les compagnies pétrolières américaines puissent vraiment investir dans le potentiel pétrolier du Venezuela et produire sur place », a-t-il déclaré en direct sur CNN. La politique au service des multinationales, on ne pourrait pas le formuler plus clairement.

Une guerre pour le pétrole, une fois de plus?

Isabelle Vanbrabant. Il y a plus que cela. Un autre élément important joue aussi. L’ancien président Hugo Chávez avait lancé à la fin des années 1990 une politique sociale radicale, payée par les pétrodollars : alphabétisation, soins de santé de première ligne de qualité, enseignement, culture, subsides alimentaires… L’aide de Cuba, avec son expertise médicale et sociale, a joué là un rôle essentiel. Cette « menace du bon exemple », pour reprendre l’expression de Noam Chomsky, a été suivie de très près par les États-Unis. Car cette politique qui fait primer le développement social propre et souverain sur les intérêts des multinationales et des groupes d’intérêts financiers et économiques étrangers a essaimé ailleurs sur le continent latino-américain.

Pour contrer cette voie alternative, Trump et ses alliés ont utilisé la démagogie la plus grossière. John Bolton qualifie l’axe La Havane-Caracas-Managua (Cuba-Venezuela-Nicaragua) de « troïka de la tyrannie », ou de « triangle de la terreur » dont il se dit « impatient de voir tomber chaque angle ».

A une époque, dans les années 2000, les trois quarts de la population latino-américaine vivaient sous un gouvernement progressiste. Avec beaucoup de variations et à des degrés divers, mais on pouvait parler d’une véritable vague de gauche. Avec Cuba, le Venezuela a fondé l’ALBA, une alliance régionale axée sur une voie « sociale et indépendante » pour le continent, après les longues et sombres années de domination et d’interventions des États-Unis dans la région.

Saviez-vous que le compteur est à 67 ? Cela fait pas moins de 67 fois qu’un gouvernement latino-américain a été renversé par l’action des États-Unis et de ses alliés. Le renversement de Salvador Allende au Chili en 1973 et les décennies de la sanglante dictature de Pinochet en est l’exemple le plus connu. Et le bilan de tous ces régimes satellites des États-Unis est bien sûr désastreux.

Mais à l’heure actuelle, de nombreux reportages montrent la situation désastreuse du Venezuela au plan social et économique…

Isabelle Vanbrabant. Je cite à nouveau le rapporteur des Nations unies Alfred de Zayas. Il constate que « la dépendance excessive à l’égard du pétrole, la mauvaise gouvernance et la corruption ont durement affecté l’économie vénézuélienne, mais les sanctions imposées au Venezuela tuent et font partie d’une vraie guerre économique. Et elles sont illégales car non approuvées par le Conseil de sécurité ». Quand le Venezuela a récemment voulu retirer 1,2 milliard de dollars de réserves d’or de la Banque centrale du Royaume-Uni, Londres l’en a empêché sous la pression de Washington. Les États-Unis bloquent environ 7 milliards d’actifs vénézuéliens. Mais en même temps, ils parlent de la nécessité d’une aide humanitaire urgente pour le Venezuela, pour un montant de… 20 millions de dollars…

À quoi faut-il désormais s’attendre?

Isabelle Vanbrabant. La situation reste extrêmement tendue. Après une tournée d’une dizaine de jours en Amérique latine et des contacts avec l’administration des États-Unis, entre autres avec le vice-président Mike Pence, Juan Guaidó est désormais rentré au Venezuela. Le risque d’escalade du conflit, d’encore plus de misère et même d’une guerre civile est très présent. La société vénézuélienne est polarisée, et avec une campagne médiatique intense derrière Guaidó, le retour au calme est encore très éloigné. Et qui voudrait que cela débouche sur le bruit des armes, la guerre et le chaos, dans une situation régionale délicate avec les pays voisins, la Colombie et le Brésil ? Les interventions étrangères en Irak, en Afghanistan, en Libye et en Syrie ne nous ont-elles pas encore assez appris ?

Voyez-vous une issue à cette impasse?

Isabelle Vanbrabant. Pour en sortir, je considère qu’un point important est le droit international. Il est heureux que le secrétaire général des Nations unies Antonio Guterres renvoie régulièrement à la Charte des Nations unies, à ses principes de souveraineté et de non-ingérence. La question que la communauté internationale doit se poser est : comment peut-on résoudre les problèmes du Venezuela ? Par la pression et les menaces, les sanctions et les roulements de mécaniques militaires ? Ou par le dialogue, une approche pacifique et le respect de la souveraineté du Venezuela ? Prendre son avenir en mains avec le couteau sur la gorge n’est certainement pas évident. C’est aux Vénézuéliens eux-mêmes de trouver une issue, de choisir leur système et leurs représentants. J’apprécie une citation d’un célèbre politicien mexicain du 19e siècle, Benito Juarez : « Le respect pour le droit des autres à la paix prévaut tant entre les individus qu’entre les nations. »

Des pays neutres comme le Mexique et l’Uruguay ont pris l’initiative pour le dialogue entre le gouvernement et l’opposition, avec l’aide des Nations unies et d’un Groupe de contact spécialement mis sur pied avec l’Union européenne. Il faut créer toutes les conditions pour que le dialogue soit effectif. Il est important de créer une basse suffisamment large dans la société pour exiger le respect du droit international et une résolution du conflit par le dialogue. Je suis tout à fait convaincue que, indépendamment de ce que l’on pense de la situation interne du Venezuela, il faut développer mouvement anti-guerre fort et solide sur base de ces principes.

repris du site web Solidair.

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