Le président chilien plaide pour plus de militarisation en guise de réponse à la protestation sociale

Par Isabelle Vanbrabant

Traduit par Gregory D’Hallewin

Après 7 semaines de protestation massive dans la population chilienne, la fin ne semble pas encore en vue. Le président, Sebastian Piñera, est allé à la rencontre de certaines revendications, mais sans s’attaquer aux racines de l’indignation : 30 ans d’ultra-néolibéralisme, cela suffit. Il plaide même pour militariser davantage le pays via un très hypocritement dénommé ‘Accord pour la Paix et contre la Délinquance’.

Bilan après 7 semaines de protestation

Au moins 22 tués, plus de 11 000 blessés, plus de 8000 détenus, plus de 250 manifestants avec de lourdes douleurs oculaires, plus de 200 accusations d’agression sexuelles, presque 400 plaintes pour tortures. Tel est le triste bilan de plus de 7 semaines de protestation sociale massive au Chili.

Sebastian Piñera, le président chilien, qui dans une tentative pour se sauver lui-même a déjà dû congédier une partie de son cabinet, ne bénéficie encore de la confiance que de 9 % de la population chilienne selon de récents sondages.

Dans son discours du 24 novembre, il a annoncé que, sous couvert d’un ‘Accord pour la Paix et contre la Délinquance’, il allait encore davantage militariser le pays. Il va déposer une proposition de loi qui attribue des pouvoirs extraordinaires à l’armée. Maintenant, cette dernière peut être appelée lorsque l’état d’urgence est proclamé. Du reste, la Constitution ne donne à l’armée aucun pouvoir dans les affaires intérieures.

Impunité par décret

La proposition de loi veut mettre fin à cela et impliquer l’armée dans la protection des infrastructures importantes. Le président l’avait fait entre autres pour la protection des réseaux électriques et téléphoniques, des approvisionnements d’eau potable ainsi que des infrasctructures de police. Dans la proposition de loi figure même littéralement le fait que les militaires auraient une exemption de responsabilité pénale. Cela veut dire recevoir par décret une carte blanche pour commettre des violences.

A côté de cela, il a annoncé également que le Chili allait recevoir une assistance stratégique de la France, l’Espagne et le Royaume Uni afin de renforcer l’efficacité de son appareil policier. Il n’est pas fortuit que des pays comme la France et l’Espagne ont au Chili d’importants intérêts économiques. La société française Suez possède 44% des approvisionnements d’eau potable du Chili et Telefonica (Espagne) controle plus de 40% du secteur des télécoms du pays.

En attendant, toutes les voix critiques sont étouffées dans l’oeuf. L’Université du Chili a rédigé un rapport qui démontre que les balles utilisées par les carabineros chiliens ne sont composées que de 20% de caoutchouc. Le reste de la balle est composé de matériaux beaucoup plus lourds, comparables à du plomb. Après que cela ait été rendu public, des rapports médicaux ont suivi faisant état de blessés avec des lésions oculaires. Les rapports d’ONG comme Amnesty International et Human Rights Watch – selon lesquels la répression est bien bien systématique et non occasionnelle – ont été minimisés par des membres du gouvernement.

Chaos et disparitions

Malgré cette répression brutale, les protestations et les barricades se maintiennent toujours. Un grand nombre de zones dans les grandes villes du pays sont totalement militarisées. Les Chiliens qui se rendent en rue prennent leurs précautions et ont toujours un châle et un citron dans leur sac. Cela afin de se protéger des bombes lacrymogènes.

Une rue peut être tout à coup barrée. Par l’action de la police militaire, il apparaît alors clairement à tout le monde – peu importe que l’on soit un grand-père ou une mère avec enfant – qu’il s’agit d’une zone interdite. Certaines villes, comme la ville portuaire de Valparaiso, sont tombées dans le chaos le plus complet. Les pillages et les incendies y sont devenus monnaie courante.

Dans des rapports officiels, on en parle à peine, mais tout le monde connaît bien les familles des personnes disparues. Ainsi une vidéo stupéfiante a été diffusée à grande échelle sur les réseaux sociaux. Une jeune femme nommée Carolina Muñoz Manguello y est très violemment arrêtée par la police chilienne, parce qu’elle bloque le passage d’un des blindés. Depuis lors, sa famille n’a plus aucune nouvelle d’elle.

Une indignation internationale limitée

Il apparaît de plus en plus clair que le gouvernement chilien viole les droits humains à grande échelle. Cependant, cela semble ne pas intéresser beaucoup la communauté internationale. L’Organisation des Etats Américains (OEA) a tiré l’alarme  après les élections en Bolivie pour une fraude supposée. Mais elle prête à peine attention à la profonde crise sociale qui secoue le Chili.

Le Parlement Européen a visiblement trouvé plus urgent – lors d’un débat autour des droits humains – de mettre à l’agenda de sa session plénière l’arrestation d’un délinquant cubain. Quels rapports de forces ont fait que les nombreux rapports sur ce qui se déroule au Chili soient à peine mentionnés.

Ce modèle de société ultra-néolibéral n’a pu s’installer au Chili que sur base du pouvoir de l’armée, laquelle a développé une répression impitoyable et institutionnalisée. 7 semaines de protestations des Chiliens ont démontré que ce modèle sera défendu bec et ongles par le même pouvoir militaire. Et aussi longtemps que les ‘infrastructures importantes’ des multinationales occidentales seront protégées, nos gouvernements ne seront pas prêts à attaquer le gouvernement chilien pour ses crimes.

 

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