La Belgique ne peut pas ignorer le rôle terrible de léopold ii au Congo

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A l’occasion de la commémoration de Léopold II organisée par la ville de Bruxelles, un large débat a eu lieu autour du rôle du deuxième roi des Belges dans l’histoire  du Congo et de la pertinence de lui rendre hommage. A cette occasion plusieurs personnes ont voulu défendre ou relativiser les actions du souverain. Je pense notamment à Aymeric de Lamotte avec son article “Non, Léopold II n’est pas un génocidaire” (LLB 22 déc. 2015). Je pense que beaucoup de contrevérités ont été avancées et je souhaite rappeler quelques faits historiques qui contredisent les conclusions du conseiller communal MR de Woluwe-Saint-Pierre. 

Léopold II a mené une politique active pour avoir une colonie 

Léopold II souhaitait que la Belgique ait une colonie. En 1876, il fonde l’Association Internationale Africaine (AIA) dont le comité belge organise les premières expéditions. En 1878, le souverain belge passe un accord avec Henry Morton Stanley, journaliste américain d’origine britannique ayant déjà parcouru l’Afrique les années précédentes. Il est chargé de créer des postes en Afrique centrale et d’étudier les aspects commerciaux de la région.

Mais le monarque belge n’est pas le seul à s’intéresser aux colonies et aux débouchés qu’elles rapportent. En effet, les rivalités s’aiguisent entre puissances impérialistes européennes, au point d’amener le chancelier allemand Bismarck à convoquer la Conférence de Berlin pour éviter un affrontement en Afrique. L’habileté de Léopold II permet que Paris puis Londres, Berlin et Lisbonne reconnaissent son pouvoir sur le bassin du Congo. La conférence de Berlin s’achève le 26 février 1885 et l’Etat Indépendant du Congo (EIC) est proclamé le 1er juillet avec Léopold II comme Roi.

Un Congo qui rapporte pour le roi et ses amis banquiers 

Le territoire congolais est encadré par un système d’exploitation très strict. L’EIC adopte une politique foncière qui consiste à déclarer terres vacantes toutes les terres qui ne relèvent pas de l’habitat immédiat des autochtones. Ce fut une gigantesque expropriation. Ces terres expropriées sont ensuite divisées en trois catégories : le domaine privé de l’Etat, le domaine privé de la Couronne (1) et les terres cédées aux compagnies concessionnaires, gérées par des amis du monarque. Citons la Compagnie du Congo pour le Commerce et l’Industrie (1886), la Compagnie du Katanga  (1891), l’Anglo-Belgian India Ruber and Exploring (1892) et sans oublier l’Union Minière du Haut-Katanga (1906), aujourd’hui Umicore

En 1896, le journal socialiste « Le Peuple », bien que non opposé au colonialisme, affirmait que l’oeuvre de Léopold II avait « été lancée par des financiers dont le seul but était de faire gagner beaucoup d’argent à des hommes d’affaires roublards » (2).

Certes au début, les résultats sont difficiles. Le monarque belge a besoin d’argent et doit effectuer des emprunts à l’Etat belge, notamment en 1887. C’est en 1895 que les choses vont lui devenir beaucoup plus favorables. Il y a en effet l’explosion de la demande de caoutchouc au niveau mondial. Avec ce régime, Léopold II engrange des bénéfices considérables, bien qu’on ne puisse en estimer exactement le montant (3). La comptabilité de l’EIC a été en effet été détruite. Ces bénéfices sont investis en Belgique pour l’embellissement des villes et la construction d’édifices somptueux : l’arcade du Cinquantenaire, la transformation du château de Laeken, la construction du Musée de Tervuren, la rénovation d’Ostende…

Un Congo qui est une prison à ciel ouvert pour les congolais  

Avec l’explosion de la demande en caoutchouc, l’exploitation débridée du Congo est ouverte. Elle s’accompagne d’un régime de corvées particulièrement dur, qui fragilise physiquement de nombreuses populations et provoque la diffusion de maladies nouvelles et d’épidémies (la variole notamment). A cela s’ajoute un régime de terreur, s’appuyant sur la Force publique, pratiquant expéditions punitives et recourant notamment à la chicotte, aux mains coupées et aux prises d’otages (4).
Quant au bilan humain, il est de l’ordre de plusieurs millions de morts. Les estimations sont à ce point alarmantes. On parle de 20 millions d’habitants en 1885, 10 millions en 1908 et 12 millions en 1950. Même si ce ne sont que des estimations, on voit qu’il faut attendre 1945 pour que la population augmente à nouveau. (5)

Il faut préciser que ces estimations reprennent l’ensemble des victimes, qu’elles soient directes ou indirectes. La colonisation a en effet provoqué une profonde désorganisation de la société dont les conséquences humaines dépassent largement les personnes tuées par balles. On peut mentionner les vieillards abandonnés, les enfants égarés, les fuyards sans vivres, les nombreux blessés achevés pour des raisons diverses, les règlements de compte…

Le prétexte du combat antiesclavagiste

Léopold II rêve d’un EIC étendu grâce à l’annexion du Soudan méridional. A cette époque, les partisans du Mahdi luttent contre la domination anglo-égyptienne dans cette région (prise de Khartoum en 1885). Léopold II et ses acolytes lancent en 1892 une expédition dans le but de prendre le contrôle de cette région. Le signal est lancé pour ce que l’on a appelé la « campagne arabe », c’est-à-dire la guerre entre l’EIC et les Arabo-Swahilis, alliés aux partisans du Mahdi. Elle dure de 1892 à 1895 et affiche des motivations humanitaires : la lutte contre la traite des esclaves pratiquée par ces Arabo-Swahilis. Mais les véritables buts sont tout autres : renforcer le contrôle de l’espace congolais et éliminer un concurrent commercial. L’EIC multiplie les provocations, auxquelles les Arabo-Swahilis réagissent de manière violente. La guerre totale est enclenchée. Elle s’achève avec la prise des dernières villes en 1894, comme Kabambare.

Finalement, le discours humanitaire de Léopold II cache d’autres objectifs, moins avouables, géostratégiques et économiques. Cela devrait inciter à le prendre avec un certain scepticisme. D’autant plus que la colonisation léopoldienne était basée sur une exploitation parfaitement impitoyable. Difficile de dire que les habitants du Congo aient vue leur situation s’améliorer avec le départ des esclavagistes.

Une population qui a résisté à l’oppression  

Pourtant, les populations autochtones sont loin d’avoir toujours subi l’oppression coloniale de manière passive.

D’abord, pour prendre le contrôle du pays, Léopold II et ses compères ont mené une véritable guerre de conquête en s’appuyant sur un appareil militaire déjà évoqué plus haut : la Force publique.

Ensuite, une fois le système colonial mis en place, il devra faire face à une suite de révoltes. Parmi les premières connues, il y a la révolte de Luluabourg en 1895. Pendant plus de dix ans, elle paralysa la colonisation dans cette région. Il s’agissait au départ de soldats qui ne supportaient plus les peines corporelles infligées par des officiers blancs, dont la chicotte. Puis cela devint une véritable guérilla contre les Européens qui dura jusque 1908. Une autre insurrection fut celle du fort de Shinkakasa, qui se déroula en avril 1900. Elle fut beaucoup plus brève, mais symboliquement encore plus grave car elle se déroula à Boma, la capitale même de l’EIC. Et il ne s’agit que des plus notoires : nous pourrions ajouter celles des Zandé (1891-1912), des Yaka (1895-1902), des Budja (1895-1905)… Et d’autres encore.

Une campagne de dénonciations qui a abouti à la fin de cette tyrannie

Les atrocités commises par l’EIC font l’objet d’une campagne internationale de dénonciations. Celle-ci est le résultat du rôle joué par le consul britannique à Boma Roger Casement et par l’activiste Edmund D. Morel. L’alliance entre les deux hommes aboutit à la création de la Congo Reform Association, dont les sections essaiment en Grande-Bretagne, en Allemagne, en France et aux USA. Face à cette campagne soutenue par d’importants secteurs de l’opinion publique, le pouvoir léopoldien fait marche arrière et met en place en 1904 une commission composée de trois personnalités : le Belge Edmond Janssens, avocat général à la Cour de Cassation ; le baron Nisco, italien, président ad interim du tribunal d’appel de Boma et  le Suisse De Schumacher, conseiller d’Etat. A cela s’ajoutent les services d’un secrétaire, substitut du procureur du Roi à Anvers, et d’un interprète.

Le rapport des investigations de cette commission est rendu public en mars 1905 et consiste en un réquisitoire sans appel contre les pratiques de l’EIC. Léopold II doit consentir à céder « son » Congo à l’Etat belge. On assiste à la fin d’un des systèmes coloniaux les plus prédateurs et les plus brutaux de l’histoire.

Le colonialisme belge a été moins féroce que  la colonisation léopoldienne 

Le « Congo belge » qui prendra le relais n’est pas l’Etat Indépendant du Congo. Il est important d’établir une distinction. Sans conteste, le colonialisme belge se montre moins féroce que la colonisation léopoldienne. Il se veut motivé par une sorte de « paternalisme éclairé », cherchant à bâtir des institutions stables au Congo. Il ne faut cependant pas oublier qu’il reste un régime d’apartheid, les congolais étant juridiquement définis comme des « sujets » et non des citoyens. En outre, le régime de contrainte et d’exploitation est largement maintenu, même s’il porte désormais sur d’autres matières, comme le café, le diamant, le cuivre et l’uranium. Léopold II et ses acolytes ont laissé la place à des groupes comme la Société Générale, la Brufina, le groupe Empain, le groupe Cominière et le groupe Lambert.

Léopold II a été l’instigateur, le dirigeant et le bénéficiaire de l’Etat indépendant du Congo. Son nom est lié de manière indélébile aux meurtres qui ont eu lieu dans ce pays. 130 ans après, il est temps que nos élites politiques cessent de défendre une rhétorique coloniale et regardent l’histoire avec objectivité.

Pour lutter contre le racisme, il faut analyser les mécanismes qui le produisent et le replacer dans une perspective historique. Cela implique de faire le lien entre les préjugés racistes et la mentalité coloniale, sur laquelle il est impératif de porter un regard critique. Donc, il ne faut pas rendre hommage à Léopold II étant donné ce qu’il incarne. En revanche, il faut rendre hommage à ceux qui, au nom de l’égalité entre les peuples, ont lutté contre la colonisation. C’est mon choix puisque j’ai signé la pétition pour avoir une place en l’honneur de Patrice Emery Lumumba à Ixelles.

Gregory D’Hallewin, historien et membre d’intal Congo

(1) Pour une analyse du domaine de la Couronne, voir D. VANGROENWEGHE, Du sang sur les lianes. Léopold II et son Congo, pp. 221-247, Editions Didier Hatier, coll. Grands Documents, 1986.

(2) Cité par M. REYNEBEAU, Histoire belge. 1830-2005, p. 109, Editions Racine, 2005.

(3) Pour des estimations, voir L. CATHERINE, http://www.dewereldmorgen.be/artikel/2015/12/15/dank-u-leopold-ii

(4) Pour un tableau d’ensemble, voir I. NDAYWEL E NZIEM, Nouvelle Histoire du Congo. Des origines à la République Démocratique, p. 310-319, Editions le Cri, coll. Espaces Sud, 2008.

(5) I. NDAYWEL E NZIEM, Nouvelle Histoire…, p. 319.

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