Interview avec Yurii Sheliazhenko du mouvement ukrainien pour la paix: « La paix ne se gagne pas par le combat, il faut la construire »

Comme ses compatriotes, Yurii Sheliazhenko, secrétaire du Mouvement ukrainien pour la paix, vit lui aussi des jours angoissants dans Kiev assiégée. Mais les armes ne peuvent ébranler sa croyance en une issue pacifique. Son message à tous les activistes de la paix est clair : « Exiger une solution pacifique, exiger des négociations, développer une culture de la paix. »

« Je reste calme et je continue mon travail », dit Yurii. Sirènes, alarmes aériennes et explosions sont la réalité quotidienne de Kiev depuis le 24 février. « Je ne me sens pas en sécurité, mais je n’ai pas le choix. Plus que jamais, je m’attache à penser, écrire et parler d’une solution pacifique à cette crise. La paix ne se conquiert pas, il faut la construire. »

L’Ukraine vit désormais en état de siège, ce qui rend difficile l’expression des opinions des militants pacifistes. « Il n’est pas facile de parler publiquement de la paix ou d’écrire sur les réseaux sociaux que nous devons nous engager activement dans la négociation et des solutions pacifiques. »

Logique hostile profondément ancrée

Yurii Sheliazhenko souligne que ce conflit n’a pas commencé le 24 février. « Il s’agit avant tout de la poursuite de la Guerre froide entre l’ancienne Union soviétique et les États-Unis. Après l’effondrement de l’Union soviétique, l’Otan n’a pas été démantelée, mais étendue au territoire post-soviétique à des fins de contrôle militaire. Puis il y a eu les violents coups d’État à Kiev (soutenu par l’Occident) et en Crimée et dans le Donbass (soutenus par la Russie). Huit années de guerre ont suivi dans l’est de l’Ukraine, faisant 14 000 victimes, pour la plupart civiles. Puis il y a eu une escalade avec l’Otan et les manœuvres militaires de la Russie en mer Noire en 2021. »

Yurii estime que cette logique hostile profondément ancrée entre l’Est et l’Ouest, entre la Russie et les États-Unis, constitue le grand problème. « Nous investissons trop dans la guerre et trop peu dans la diplomatie et l’amitié internationale. Les États-Unis dépensent 700 milliards de dollars pour la Défense, soit dix fois plus que pour la diplomatie, l’aide étrangère, etc. En Russie, c’est 20 fois plus, en Ukraine, 24 fois plus. Le ministère de la Défense ukrainien dispose d’un budget 24 fois supérieur à celui du ministère des Affaires étrangères. »

Pour lui, la polarisation militaire entre l’Est et l’Ouest est allée trop loin, avec des opérations militaires inconsidérées, l’expansion de l’Otan, les menaces nucléaires, la militarisation de l’Ukraine, l’exclusion de la Russie des institutions internationales et maintenant l’invasion russe.

En Ukraine même, Yurii voit des défis majeurs à relever pour parvenir à une coexistence pacifique. Par exemple, le fait que les citoyens russophones d’Ukraine sont souvent exclus de la vie publique en raison de leur langue. « Ce n’est évidemment pas une raison pour mener une invasion et une agression militaire, mais ce n’est pas correct. L’Occident devrait également dire à l’Ukraine que les droits de l’homme sont une valeur importante, que la liberté d’expression et les droits linguistiques comptent, que la représentation politique des pro-russes et des russophones est importante. L’oppression de la culture de nos voisins et de leur diaspora en Ukraine exaspère le Kremlin. Cette crise doit être désamorcée, non pas alimentée. »

Violation des accords

Selon lui, l’une des principales causes du conflit est la non-application des accords de Minsk, qui ont été conclus en 2014-2015. « Toutes les parties ont prétendu respecter ces accords, mais en fait, même la première étape des accords, le cessez-le-feu, a été fréquemment violée. Une mission spéciale de l’OSCE a contrôlé le respect de ces accords par l’armée ukrainienne et les forces armées séparatistes soutenues par la Russie. Les deux parties ont violé le cessez-le-feu. »

Les démarches politiques entreprises pour résoudre le conflit ont également été cassées. Par exemple, l’octroi de l’autonomie au Donbass ou les tentatives pour approfondir les négociations. « À chaque fois, des groupes d’extrême droite sortaient dans la rue pour crier : « Pas de reddition ! ». L’extrême droite a toujours été en faveur d’une solution militaire. Malheureusement, cette propagande est très efficace et la confiance dans l’armée en Ukraine est élevée. »

Il n’y a pas d’anges et de démons

Pour Yurii, il est décevant de constater que le soutien occidental à l’Ukraine est principalement militaire, en plus de l’imposition de douloureuses sanctions économiques à la Russie. « Les reportages sur le conflit se concentrent sur la guerre et ignorent la résistance non violente à la guerre. De courageux citoyens ukrainiens changent les panneaux de signalisation, bloquent les rues et les chars simplement en se mettant sur le chemin, sans armes. »

Même aujourd’hui, alors que la violence armée étouffe tout le reste, le mouvement ukrainien pour la paix continue de croire qu’une issue est possible. Pour commencer, il faut d’abord dire la vérité. « Il n’y a pas d’anges et de démons, pas de good guys et de bad guys. Ce conflit n’a pas commencé le 24 février, il a une histoire. Il y a un mauvais comportement et une escalade de chaque côté. Il faut arrêter l’escalade. On doit parler au lieu de tirer. Dire la vérité, car la crise ukrainienne est désormais un champ de désinformations. »

Pour parvenir à la paix, Yurii Sheliazhenko affirme qu’il doit y avoir des négociations directes entre Biden, Poutine et Zelensky vu quʼil s’agit d’un conflit entre les États-Unis et la Russie, d’une lutte pour le contrôle de l’Ukraine. « Dans cette affaire, la Russie utilise un réseau séparatiste. Pendant des années, elle a stimulé le sentiment pro-russe et le séparatisme en Ukraine. Et l’Occident a stimulé le nationalisme ukrainien d’extrême droite. »

Pour lui, il n’y a pas d’alternative à une solution pacifique. « Au lieu de rompre les derniers liens humains par colère, nous devons, plus que jamais, protéger et renforcer les chemins de la communication et de la coopération entre tous les peuples de la terre. Tout effort dans ce sens est précieux. »

Source : entretien téléphonique réalisé par Joaquim Da Fonseca pour intal le mercredi 9 mars 2022.

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