Congo : exploitation économique et idéologie raciste

L’un des aspects les plus importants du colonialisme belge au Congo a été l’impitoyable exploitation économique dont ce pays a été victime. Cette exploitation s’est mise en place sous l’Etat Indépendant du Congo (EIC) de Léopold II et s’est maintenue sous une forme à peine atténuée à l’époque du Congo belge. Elle a été légitimée par une idéologie raciste qui s’exprime de diverses manières. Parmi celles-ci figurent les lieux célébrant les exécutants de l’entreprise coloniale. Ne citons que les cas du square des vétérans coloniaux à Anderlecht et des statues célébrant les agents de l’EIC dans les hôtels de ville de la commune bruxelloise et de Charleroi.

Sous la pression de nombreuses organisations, dont intal, le Parlement belge a nommé une Commission spéciale chargée d’examiner le passé colonial au Congo, au Rwanda et au Burundi. A la demande de cette Commission, un groupe d’experts a été constitué en juillet 2020. Il vient de remettre son rapport. Celui-ci s’efforce d’aborder la colonisation dans ses différents aspects et de faire le lien entre le passé colonial et des problèmes encore bien actuels comme le racisme et la xénophobie.

L’exploitation du Congo sous Léopold II

Nous considérons que l’un des aspects clés de la période coloniale est l’exploitation économique dont le Congo a été l’objet. A peine celui-ci a-t-il été attribué à titre personnel à Léopold II en 1885 que le monarque belge a mis la main par décret sur le sol et le sous-sol du pays. Dès avant 1885, il a lancé de nombreuses expéditions militaires et il les a poursuivies. Ces militaires ont constitué l’ossature d’un appareil étatique entretenu par sa fortune personnelle. Cela s’est accompagné d’une exploitation des matières premières, au premier chef de l’ivoire. Mais cette exploitation ne rapporte pas au monarque les profits espérés. Il s’endette et en 1890 il doit s’adresser au gouvernement belge pour un prêt.

Ce qui va sauver l’entreprise de Léopold II de la faillite, c’est la montée de la demande mondiale en caoutchouc à partir des années 1895-1900. Cela va aussi entraîner le durcissement extrême de l’exploitation des populations du Congo. Ces dernières vont se retrouver astreintes à la fourniture de caoutchouc au pouvoir colonial. En outre, le monarque belge distribue de larges parties de son territoire à plusieurs gros conglomérats et leur donne toute latitude pour fixer les prix et exploiter la main-d’œuvre. L’appareil étatique étant actionnaire de ces conglomérats, il reçoit une partie des profits de cette exploitation, pour le plus grand bénéfice de Léopold II. Celui-ci peut s’acquitter de ses dettes, financer des projets urbanistiques et s’enrichir.

Ce système d’exploitation repose sur une force armée coloniale baptisée Force publique et composée de soldats africains encadrés par des officiers blancs imbibés d’idéologie monarchiste antidémocratique. Il fera de nombreuses victimes. Celles-ci ne se limitent pas aux personnes tuées par cette Force publique, mais incluent également les gens morts épuisés par le travail harassant et les épidémies générées par cette exploitation débridée. Notons également que ce système d’exploitation a été légitimé par une idéologie raciste, stigmatisant les Congolais comme « paresseux » et « désobéissants » et glorifiant la poigne coloniale comme « nécessaire » et « civilisatrice ». Cette idéologie continue encore aujourd’hui à faire des dégâts.

Transfert à l’Etat belge et continuité de l’exploitation

Au niveau international, une campagne va se mettre en place pour dénoncer celle-ci. En 1906, Léopold II annonce qu’il va céder le Congo à l’Etat belge. Mais il s’efforce de retarder ce transfert, qui ne sera effectif que deux ans plus tard. La politique coloniale devient du ressort du ministère des Colonies. Celui-ci multiplie les annonces selon lesquelles des garde-fous légaux vont désormais réguler l’usage de la violence au Congo. Mais elles seront suivies de peu d’effets. En outre, le processus de développement d’une économie duale entamé sous Léopold II se poursuit. On a d’une part un secteur minier axé sur l’exportation par l’aménagement d’infrastructures et d’autre part un secteur agricole appauvri et rabougri, cantonné à la fourniture de main-d’œuvre et de denrées alimentaires. Le tout est encadré par de puissants groupes coloniaux, comme l’Union Minière du Haut-Katanga (UMHK), la Société Internationale Forestière et Minière du Congo (Forminière) et la Compagnie de Chemin de Fer du Bas-Congo au Katanga (BCK). Ces trois groupes ont été créés au moment où Léopold II a annoncé la cession du Congo à l’Etat belge. Ils n’hésitent pas à utiliser la Force publique comme milice privée pour écraser toute velléité de revendications de la part des travailleurs.

L’importance de la figure de Patrice Lumumba

Nous insistons également sur l’importance de reconnaître la figure de Patrice Lumumba à sa juste mesure. Ce jeune leader autodidacte fonde en 1958 le Mouvement National Congolais (MNC), l’un des seuls partis au recrutement authentiquement congolais dans un contexte où le pouvoir colonial encourage les formations ethnicistes et régionalistes dans sa politique du « diviser pour mieux régner ». En fin 1958, il prend part à la Conférence panafricaine d’Accra, organisée par Kwame Nkrumah, dirigeant du Ghana nouvellement indépendant. Il va alors évoluer d’un combat nationaliste congolais à un combat plus généralement panafricain. Il remporte les élections d’avril 1960, porté par un vaste mouvement populaire et décolonial. Il forme dès lors le premier gouvernement destiné à prendre les rênes du Congo indépendant.

L’establishment belge n’a eu aucun scrupule à son égard. Peu avant le 30 juin 1960, jour de l’indépendance, l’UMHK délocalise son siège social du Congo pour l’installer en Belgique dans l’évident objectif d’empêcher Lumumba de taxer ses substantiels bénéfices. Et cet establishment a tenté de le déstabiliser en encourageant des forces sécessionnistes, comme celles du Katanga et du Kasaï. Le 5 septembre 1960, convaincu par ses conseillers belges, le chef de l’Etat Joseph Kasa-Vubu débarque Lumumba de ses fonctions. Celui-ci se retrouve placé en résidence surveillée. Il parvient à s’évader en fin novembre pour rejoindre ses partisans au nord du pays, mais il est capturé le 2 décembre. Il est assassiné avec deux de ses compagnons le 17 janvier suivant. Le mouvement nationaliste progressiste qu’il représentait a ensuite été détruit. Le Congo ne s’en est toujours pas remis.

Longtemps, ce crime a été présenté comme une affaire de politique intérieure congolaise. Mais l’ouvrage du sociologue Ludo De Witte L’assassinat de Lumumba (1999) a pointé des responsabilités belges jusqu’à un niveau élevé. Et le leader congolais a été diabolisé et stigmatisé comme un raciste anti-blancs, un agent de Moscou et un drogué. Depuis plusieurs années, notre organisation s’efforce de lui rendre justice en luttant pour que des lieux lui rendent hommage. Dans ce cadre, nous nous sommes alliés à des associations d’Afro-descendants et avons obtenu l’inauguration d’un square Lumumba à Bruxelles. Mais le combat continue.

Une question politique encore très actuelle

Cela peut sembler un passé lointain. Mais la question Lumumba demeure encore très actuelle. Dans le cadre de la répartition des tâches à l’intérieur du bloc occidental, la Belgique joue aujourd’hui le rôle de promoteur des intérêts miniers européens et nord-américains au Congo. Elle emballe ce rôle de promotion dans des discours très moralisateurs axés sur la bonne gouvernance, les droits humains et la démocratie. Un des buts de notre organisation est de dénoncer la fausseté de ces discours. L’establishment belge continue de se protéger en refusant de faire face au passé et au présent. L’actuel premier ministre belge Alexander De Croo a encore récemment qualifié le leader congolais de « personnage controversé », ce qui démontre ce refus d’assumer ses responsabilités.

En témoigne le maintien de lieux d’hommage à des acteurs de la colonisation, y compris durant sa phase la plus féroce. On peut citer comme exemple Charleroi et Anderlecht. Le fait que de tels monuments existent sans contextualisation ni explication et qu’ils glorifient le colonialisme nous semble inacceptable.

En témoigne aussi la présence de 1998 à 2021 aux commandes de Bozar, une des plus importantes institutions culturelles du pays, d’Etienne Davignon, largement soupçonné d’implication dans l’assassinat de Lumumba et sous le coup d’une plainte de la famille du leader depuis 2011. Nous avons lancé la campagne Decolonize Bozar et obtenu une victoire lorsqu’il a annoncé qu’il ne briguerait pas un nouveau mandat. Mais d’autres luttes nous attendent…

 

 

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