Carte blanche : « Sans dignité, il n’y a pas de liberté… »

Lumumba

Carte blanche de intal, Présences Noires, Café Congo, Bamko-Cran, Change asbl, CADTM apparu sur ‘Pour‘.

30 juin : jour de célébration

Il y a exactement 60 ans prenait officiellement fin la domination coloniale belge au Congo, initiée par Léopold II et perpétuée par l’État belge et ses élites économiques. Nous célébrons aujourd’hui les combattants de la liberté, à la tête de qui se trouvait Patrice Emery Lumumba, et qui ont marqué à jamais l’Histoire du XXe siècle.

En ce jour de célébration, nous transmettons la mémoire des luttes de ces générations qui se sont sacrifiées pour la fin de l’oppression coloniale, ont libéré le Congo et l’Afrique et ont permis à l’humanité de faire un pas en avant vers l’émancipation. Nos combats d’aujourd’hui s’inscrivent nécessairement dans cette quête de dignité, d’égalité et de justice qui les a animé dès les premiers jours de l’invasion coloniale jusqu’ à ce jour du 30 juin 1960 où les rues et les villes congolaises chantaient et dansaient avec ferveur au rythme d’Indépendance Cha Cha.

En recul ces dernières années, grâce notamment à l’action et à la mobilisation des organisations afro-descendantes, le révisionnisme colonial a sévi en Belgique pendant des décennies en s’appuyant entre autres sur l’idée d’une passivité congolaise face à l’invasion et à la domination coloniale ou, même pire, sur une supposée acceptation des Congolais de leur situation de colonisés.

Alors que nous célébrons ce jour d’émancipation, il est utile de rétablir la vérité sur la bravoure, la dignité et l’esprit de résilience du peuple congolais tout le long de l’occupation coloniale jusqu’à aujourd’hui : la résistance de Lusinga assassiné et décapité par le général Emile Storms le 4 décembre 1884, ces nombreu∙x∙ses résistant∙e∙s qui affronteront pendant près de 30 ans les mercenaires européens de Léopold II avant la victoire provisoire de ce dernier à la conférence de Berlin de 1885, l’insurrection populaire des ba Pendes entre mai et juin 1931 dans les plantations d’huile de palme d’Unilever, l’héroïsme et la dignité des grévistes de l’Union Minière du Haut-Katanga qui seront fusillés dans un stade le 8 décembre 1941 ainsi que les millions d’autres héros anonymes qui participeront à leur manière à la grande Histoire.

Après une indépendance sabotée et l’offensive néocoloniale : la pleine souveraineté encore à conquérir

L’élite coloniale belge, trop confiante, n’a pas vu venir le mouvement de résistance et de révolte qui travaillait la société congolaise depuis déjà les années 1930 lors de l’insurrection des ba Pendes et depuis la fin de la seconde guerre mondiale. L’expérience de cette guerre et de celle du maintien du statu-quo colonial ont été un formidable accélérateur de l’Histoire car cela a entre autres permis de faire sauter les verrous idéologiques du complexe du colonisé et de la croyance dans la suprématie européenne.

Une fois que l’élite belge prend enfin conscience que l’Histoire est en marche et qu’il n’y aura plus de retour en arrière, elle agira dans la hâte pour «sauver» encore ce qui peut l’être. Nous ne pouvons comprendre l’histoire de la RDC sans analyser le sabotage, la corruption d’une partie des nouveaux dirigeants congolais et le pillage économique massif organisé par la Belgique dans les mois qui ont précédés l’indépendance[1]. Ces actions de sabotage ont eu comme conséquences directes de saper et de fragiliser dès sa naissance le Congo nouvellement indépendant, pour ensuite l’enliser pendant 3 décennies dans la dictature de Mobutu, enfantée par la Belgique et les USA.

Mais malgré la dictature et plus de 20 ans de guerres et de rébellions profitant entre autres aux pays occidentaux, le peuple Congolais fait preuve encore aujourd’hui d’une capacité de résilience hors du commun, d’une foi inébranlable dans l’unité de la RDC et d’une lutte déterminée pour la défense de sa souveraineté et de sa dignité.

Le néocolonialisme prend aujourd’hui la forme d’un soutien direct ou indirect des pays européens aux grandes entreprises du secteur minier en RDC qui veulent tout sauf une fiscalité plus juste envers l’État congolais et sont loin de respecter la souveraineté de la RDC dans leur stratégie industrielle et commerciale. Il s’agit également de nombreux accords commerciaux léonins que notre pays négocie dans le cadre européen avec les pays africains, notamment l’accord UE-pays ACP en cours de négociation.

Décolonisons pour nous réinventer et écrire une nouvelle page de notre histoire

A travers ses actes de résistance tout le long de la colonisation jusqu’à la conquête de l’indépendance en 1960, le peuple Congolais a entamé son processus de décolonisation en se libérant progressivement de l’oppression et de la relation coloniale. Ce faisant, ils ont également montré la voie au peuple belge. Car la relation coloniale – et néocoloniale – a ceci d’élémentaire qu’il s’agit d’une relation qu’il faut briser pour enfin écrire une nouvelle histoire, autant entre Belges qu’entre Belges et Congolais. C’est à cette seule condition que nous pourrons nous réinventer en que collectivité et oser une nouvelle manière d’habiter le monde.

L’écriture de cette nouvelle histoire nous oblige donc, en tant que Belges, de faire enfin notre part de travail pour être à la hauteur des exigences d’égalité, de justice et de dignité qui travaillent notre société, et la jeunesse en particulier. Depuis de trop nombreuses décennies, il a régné dans notre pays tantôt un silence coupable et une relative amnésie, tantôt du révisionnisme faisant de notre passé colonial une raison de fierté. Nous avons aujourd’hui l’occasion d’ouvrir enfin un débat public sur les crimes coloniaux belges et d’enfin les reconnaître pour ce qu’ils sont : des crimes contre l’humanité. Les regrets – aussi royaux soient-ils – ne suffiront pas : à minima il faudra des excuses officielles du gouvernement belge ainsi que des réparations pour le peuple et l’État congolais et envers les nombreux Belgo-Congolais. S’en suivra nécessairement aussi une critique profonde des relations néocoloniales que nos gouvernements et nos entreprises continuent avec la RDC et l’Afrique- à travers notamment notre position d’ « expert de l’Afrique centrale » au sein des institutions européennes et la relative opacité de nombreuses entreprises belge en RDC.

Mais notre passé colonial a aussi façonné notre culture, notre mythe national et nos folklores en légitimant un racisme systémique négrophobe et islamophobe qui cible et discrimine sur le marché du travail, dans l’accès au logement, dans le système d’enseignement, dans la production culturelle ou à travers les brutalités policières. En février 2019, un groupe d’experts du conseil des droits de l’homme de l’ONU était en visite en Belgique et a sorti un rapport dans lequel ils recommandent à la Belgique d’enfin ouvrir le débat sur son passé colonial, de présenter des excuses officielles et de s’attaquer plus fermement au racisme institutionnel dans notre pays.[2]

Nous savons également que l’amnésie sur le passé colonial est en partie organisée et entretenue par une partie de nos catégories sociales dominantes qui craignent que l’ouverture de ce débat mette en lumière les origines en partie coloniales, donc criminelles, de leur fortune. En effet, en plus de la famille royale, 11 familles parmi les 23 les plus riches du pays ont tiré une partie significative de leur richesse de l’exploitation coloniale du Congo[3]. Ce débat mettrait aussi la lumière sur les activités passées de certaines des grandes banques actives dans le pays : la banque ING qui a racheté entre autres la Banque Bruxelles Lambert, active dans des grands projets coloniaux au Congo, ou la banque BNP Paribas Fortis qui est l’ancienne Société Général, l’acteur financier principal des projets coloniaux belges depuis Léopold II.

En tant que société, il est temps de se regarder dans un miroir pour voir ce que le passé colonial a fait de nous. Non pas pour s’apitoyer ou se culpabiliser mais pour soigner et réparer notre société. Réparer l’injustice mémorielle faite aux Afro-Belges, descendants d’ex-colonisés. Soigner et réparer notre société en détruisant le racisme systémique. Soigner et réparer nos relations avec le reste du monde en mettant fin aux relations d’échanges inégales et néocoloniales que notre pays continue d’entretenir avec les pays du Sud, spécialement avec la RDC et l’Afrique.

La décolonisation de l’espace public et le déboulonnage des statues de Léopold II ne sont pas une fin en soi : cela doit permettre d’ouvrir la voie aux profondes transformations dont notre société a besoin afin de nous débarrasser du racisme systémique et des inégalités sociales et raciales, de l’oppression patriarcale, de l’impérialisme et du capitalisme néolibéral qui ont besoin de cette amnésie coloniale et de l’idéologie raciale pour se perpétuer.

Conscients du bilan mitigé des 60 ans dernières années de l’histoire de la RDC, des rêves inachevés des leaders panafricanistes tel que Patrice Lumumba, et lucides également face aux immenses défis à affronter avant que le Congo et l’Afrique ne conquièrent leur pleine souveraineté; ces célébrations des 60 ans sont naturellement aussi un appel pour tous les progressistes du monde qui veulent être aux côtés du peuple congolais et des peuples africains en lutte.

[1] https://plus.lesoir.be/308582/article/2020-06-21/jean-omasombo-je-laffirme-en-1960-le-congo-ete-assassine-il-ny-avait-plus-rien?fbclid=IwAR2kLqeyxgupWJf2Km3pu5kNCuXo0s7aVKbetENSJ3TrZRfgKkr08DdFzB4

[2] https://documents-dds-ny.un.org/doc/UNDOC/GEN/G19/252/38/PDF/G1925238.pdf?OpenElement.

[3] https://www.solidaire.org/articles/l-histoire-des-belges-au-congo.

 

Carte blanche : « Sans dignité, il n’y a pas de liberté… »
Retour en haut